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ALLOCUTION DE MADAME
PAULINE LEFEBVRE

Qu'est-ce qu'on a pas entendu dans le débat des orphelins de Duplessis ?

Ces enfants abandonnés n'avaient-ils ni père, ni mère, c'est faux, je suis l'une de ces « filles-mères ». Aujourd'hui, j'assiste à cet épisode d'un Québec à la mémoire sélective.  Je n'ai plus rien à cacher.  Je veux m'assurer qu'il ne manque pas de pages à l'histoire et que le Gouvernement ne réussira pas à faire tourner une page avant qu'elle ne soit lue. 

Voici mon histoire.

En 1942, je me rends chez une amie. Je croise un homme qui dit me connaître du temps où nous fréquentions la même patinoire. Puisque nous allons dans la même direction, il marche avec moi. Nous arrivons devant une maison. Il me dit « Il fait noir, tu devrais rentrer. » J'accepte mais je viens de faire le geste fatal qui marquera ma jeunesse puis ma vieillesse. Il m'entraîne au deuxième étage et me dit de la fermer, si non, « les quatre hommes que tu as vus en bas te feront ce que je vais te faire. » Dans cette maison, en quelques minutes ma vie va basculée, il m'a violée. J'avais beau me laver, c'est comme si une couche de goudron me recouvrait le corps.

Pendant sept mois, je me cache dans ma chambre. En 1942, on se confessait de tout, même... d'un viol. Le curé sera donc le premier informé.  Avant l'accouchement, on m'a fait renoncer par écrit à mon bébé. Dans le -temps, à cause de la pression sociale exercée par l'Église, on nous forçait à abandonner notre enfant. Je me souviens que l'infirmière s'est extasiée devant mon fils, en le voyant beau et fort. Ça m'a soulagée, pensant qu'il serait vite adopté.

Une cinquantaine d'années passeront avant que je revoie mon bébé. On s'est retrouvé il y a trois ans.  Avant, j'ai demandé à la travailleuse sociale « Mon fils, il n'est pas un enfant de Duplessis, toujours ? ». Elle a répondit : « oui ». Il est entré, il m'a sauté au cou, m'a dit : « Ça fait si longtemps que je vous attends ! ». Je lui demande pardon, il me dit que c'est pas de ma faute.  J'apprends qu'il n'a jamais été adopté, qu'il n'a jamais su comment une mère peut aimer. Il se faisait menacer, lorsqu'il était turbulent, de se faire envoyer à Saint-Jean-de-Dieu. Mon fils est encore aujourd'hui, étiqueté débile mental.  Selon son dossier, il a passé un an à Saint-Jean-de-Dieu avant d'être envoyé au Mont-Providence. De sa détention à Saint-Jean-de-Dieu, il ne se souvient de rien, car les médicaments l'assommaient toute la journée. Il a essayé de ne pas les prendre, mais il était tout le temps surveillé

Je veux aussi vous parler d'une autre injustice - la souffrance des mères à qui on arrachait leurs enfants. Lorsque j'entends Monseigneur Turcotte dire que ces femmes sont responsables et devraient s'excuser, j'ai mal. C'est pas une femme qui m'a violée, c'est un homme. Il faut arrêter de nous accuser. On refusait de nous aider. Je ne suis pas la seule à avoir été violée.  Combien d'orphelins de Duplessis ont comme père inconnu, un prêtre. J'ai moi-même un cousin qui a vécu à St-Jean-de-Dieu dont le père était curé. Nous ne nous excuserons pas d'avoir été obligées d'abandonner nos enfants.  Messieurs les évêques, reconnaissez vos torts, réparez-les, mais arrêtez d'accuser les « petites mamans » que nous étions. Beaucoup d'entre nous vivons encore et nous souffrons toujours.  Avez-vous déjà pensé à nous lorsque que nous retrouvant nos enfants diminués, analphabètes, étiquetés malades mentaux, brisés pour la vie. Messieurs les évêques, n'en rajoutez pas. Notre vie est déjà assez difficile comme ça.

Une injustice a été commise envers ces enfants. Il faut savoir pardonner mais avant tout il faut cesser de cacher cette histoire et surtout, il faut réparer!


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