Source: http://members.tripod.com/~rootsunknown/matique.htm
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des "Orphelins de Duplessis"
par Martin Poirier, chercheur, et
Léo-Paul Lauzon, professeur titulaire
Chaire d'études socio-économiques de l'UQAM
Université du Québec à Montréal, avril 1999
TABLE DES MATIÈRES
Avantages pour les congrégations religieuses ii
Avantages pour le gouvernement du Québec iii
Le cas de Mont-Providence iii
Conclusion iv
ABRÉVIATIONS ET TERMES UTILISÉS vi
INTRODUCTION 1
Mandat de l'expertise 1
CONTEXTE GÉNÉRAL DE L'ASSISTANCE PUBLIQUE AU QUÉBEC
2
Les institutions des congrégations religieuses : déficits ou surplus? 4
Implications pour les religieuses et religieux 7
LA PROBLÉMATIQUE DES ORPHELINS DE DUPLESSIS 8
Orphelinats ou pensionnats pour familles pauvres? 10
Avantages pour le gouvernement du Québec 11
Le cas de Mont-Providence 13
CONCLUSION 16
BIBLIOGRAPHIE 17
ANNEXES 19
FAITS SAILLANTS
L'intérêt de l'Église pour la charité privée
L'Église profitait largement des institutions de charité des congrégations religieuses comme en fait foi son opposition constante et manifeste au transfert de ces responsabilités à l'État de la fin du XIXe siècle au milieu du XXe siècle. La mainmise de l'Église sur des institutions telles la santé, l'éducation et l'assistance publique lui garantissait une influence sociale, économique et politique qui lui permettait de recruter de nouveaux fidèles et recueillir des dons de charité. De plus, les actifs immobiliers des congrégations religieuses prenaient de la valeur dans le temps et pouvaient être revendus à profit. La valeur des biens immobiliers de l'Église pour la santé et la protection de l'enfance sont évalués en 1930 à 434 millions de dollars de 1999.
La mise en place de l'État-providence dans les années 1960
et 1970 a contribué à créer un vaste réseau de
santé et de services sociaux principalement étatique. Le
financement d'institutions religieuses a alors tout simplement disparu.
Avantages pour les congrégations religieuses
La principale raison qui a pu conduire à un internement injustifié de milliers d'enfants est la différence entre la subvention reçue par les orphelinats et celle reçue par les asiles. Ainsi, l'orphelinat de l'Immaculée de Chicoutimi recevait un per diem de 0,70 $ en 1956 pour les enfants de plus de cinq ans alors que le per diem de Saint-Jean de Dieu était, pour la même année, de 2,25 $. En plus de recevoir des sommes considérablement plus élevées pour les enfants en institutions psychiatriques, les congrégations religieuses n'étaient plus tenues d'éduquer ces enfants et les faisaient travailler sans rémunération.
Précisons également que les enfants placés dans les orphelinats durant les années 1940 et 1950 sont en réalité en grande majorité des enfants de familles divisées qui ne peuvent assumer la charge des enfants. Les orphelinats sont surpeuplés en raison des enfants qui ont encore au moins un parent. Les familles versaient généralement des montants aux orphelinats pour la garde de leur(s) enfant(s) et ces pensions versées étaient supérieures aux allocations gouvernementales. Cela a pu conduire à "évacuer" des orphelinats les enfants moins "payants", c'est à dire les illégitimes pour qui on ne recevait pas de sommes d'argent de parents.
Les données d'une étude sur l'Orphelinat de l'Immaculée
de Chicoutimi démontrent que les orphelinats ne sont pas destinés
aux illégitimes. On constate en effet que les illégitimes
disparaissent des orphelinats en quasi-totalité avant l'âge
de six ans. Il serait étonnant d'attribuer ce fait aux seules adoptions.
Avantages pour le gouvernement du Québec
Le gouvernement du Québec a certainement contribué au problèmes des enfants illégitimes par ses politiques sociales. En effet, les allocations familiales étaient notoirement plus basses au Québec que dans le reste du Canada, ce qui contribuait largement à l'éclatement des familles pauvres et à l'engorgement des orphelinats. À titre d'exemple, une famille québécoise de dix enfants touchait une allocation mensuelle de 57$ en 1950, contre 140$ pour une famille ontarienne.
Le gouvernement du Québec avait également comme politique de favoriser largement la construction et l'exploitation d'hôpitaux à l'aide des subventions que le gouvernement fédéral octroie à compter de 1948. De 1948 à 1953, le gouvernement fédéral a déboursé 94 millions de dollars dans la santé, dont 31% ont été alloués au Québec. À titre de comparaison, l'Ontario n'a reçu que 26% de cette somme au cours de la même période.
Le gouvernement du Québec préférait donc construire de nouveaux hôpitaux pour "entreposer" les malades mentaux, profitant de ce fait des importantes subventions du gouvernement fédéral, plutôt que d'investir dans le mieux-être des malades. Le réseau psychiatrique se retrouvait donc face à un sous-financement chronique et à une pression à la baisse continuelle de ses taux d'occupation qu'il fallait compenser par de nouvelles admissions.
Dans au moins un cas, soit celui du Mont-Providence, le gouvernement du
Québec a directement contribué à l'internement d'enfants
normaux en institut psychiatrique pour pouvoir profiter des subventions du
gouvernement fédéral et pour éviter d'engager des coût
supplémentaires pour le financement de l'institution.
Le cas de Mont-Providence
Le 12 août 1954, l'Institut médico-pédagogique du Mont-Providence de Montréal devient par arrêté ministériel un hôpital psychiatrique. Selon les religieuses, le gouvernement provincial aurait exigé que le Mont-Providence devienne un hôpital psychiatrique pour solutionner les problèmes financiers de l'institution.
Le gouvernement du Québec avait en effet tout avantage à ce que le Mont-Providence devienne un hôpital psychiatrique puisque le gouvernement fédéral n'était plus intéressé à financer l'établissement à raison d'un per diem de 2,38$ (1952). Le gouvernement fédéral considérait en effet que l'établissement avait une vocation éducative, donc de compétence strictement provinciale. De plus, le Mont-Providence avait reçu une subvention de 1,5 millions de dollars du gouvernement fédéral pour sa construction et le fédéral menaçait de récupérer cette somme auprès du gouvernement provincial.
Le gouvernement provincial, s'il avait voulu conserver la mission première du Mont-Providence, aurait dû augmenter le per diem de l'établissement à environ 5,00$ pour compenser le retrait du gouvernement fédéral, ce qui aurait représenté un déboursé additionnel de 27,5 millions de dollars de 1999. Il aurait également dû rembourser la somme de 1,5 millions de dollars (9,8 millions de dollars de 1999) octroyée par le fédéral pour la construction de l'établissement. Le changement de vocation du Mont-Providence a donc permis au gouvernement provincial de sauver 37,3 millions de dollars constants.
À la fin de l'année scolaire 1954, les enfants qui ont une famille sont renvoyés chez leur(s) parent(s). Les orphelins légitimes sont envoyés vers d'autres institutions. Quant aux quelques 370 enfants illégitimes que comptait le Mont-Providence à ce moment, ils sont tous internés dans ce qui devient alors un hôpital psychiatrique.
Les quelques 350 enfants normaux qui sont demeurés au Mont-Providence
de 1954 à 1961 parce qu'ils étaient "illégitimes" ont
rapporté à l'établissement des revenus annuels de source
gouvernementale d'environ 300 000 $. Les mêmes enfants placés
dans des orphelinats auraient rapporté de la moitié au tiers
de ce montant. En dollars de 1999, ce sont donc près de 7 millions
de dollars en sommes additionnelles que les religieuses ont obtenu pour ces
sept années en décidant de garder ces enfants au Mont-Providence.
La congrégation religieuse a également reçu diverses
subventions spéciales de l'ordre de 24 millions de dollars.
La congrégation des Soeurs de la Charité a vendu le
Mont-Providence au gouvernement le 31 octobre 1969. L'établissement
devient alors l'hôpital Rivière-des-Prairies. Les religieuses
ont tiré de la vente un montant net de 1,3 millions de dollars, ce
qui représente 5,8 millions en dollars de 1999. L'aventure
financière qui avait commencé en cauchemar pour les soeurs
(coûts de construction de l'hôpital deux fois plus élevés
que prévu et déficits répétés) s'est donc
malgré tout soldé par un intéressant profit.
Conclusion
Les congrégations religieuses ont eu un net avantage financier à transférer des enfants normaux "illégitimes" dans des hôpitaux psychiatriques, notamment pour profiter d'un per diem plus important. Les communautés religieuses ont réussi à obtenir, en dollars constants de 1999, environ 70 millions de dollars en sommes additionnelles pour les années 1940 à 1960. Ce montant constitue selon nous un minimum puisqu'il ne tient pas compte du travail non rémunéré des enfants ni des revenus additionnels que les communautés religieuses ont obtenus en évacuant des orphelinats les "illégitimes" pour faire place à une clientèle plus payante.
La faiblesse des allocations familiales versées aux mères de famille, de même que les montants fort peu élevés versés pour l'exploitation des orphelinats et les hôpitaux psychiatriques, ont grandement contribué aux problèmes des orphelins "illégitimes". De plus, le gouvernement a incité l'internement d'orphelins en instituts psychiatriques en favorisant la construction d'hôpitaux psychiatriques, plutôt que d'investir pour le mieux-être des bénéficiaires, afin de profiter d'importantes subventions du gouvernement fédéral.
Notons finalement que dans le cas de l'hôpital Mont-Providence, le gouvernement du Québec est directement responsable de sa conversion en hôpital psychiatrique à compter de 1954. Ce changement de vocation a conduit à l'internement d'environ 350 enfants normaux. Grâce à cette manoeuvre, le gouvernement a pu économiser 9,8 millions de dollars de 1999 en remboursement de dette au gouvernement fédéral et a également évité de payer des sommes évaluées à 27,5 millions de dollars pour le financement du Mont-Providence de 1954 à 1961, pour un total de 37,3 millions de dollars.
Il est donc clair que des enjeux économiques importants ont poussé
les congrégations religieuses et le gouvernement du Québec
à interner en hôpitaux psychiatriques des enfants normaux
"illégitimes" qui étaient sous leur responsabilité.
ABRÉVIATIONS ET TERMES UTILISÉS
per diem : Dans les années 1940 et 1950, les institutions du
réseau de l'assistance publique au Québec (orphelinats,
crèches, hôpitaux psychiatriques, sanatoriums, etc.) recevaient
du gouvernement provincial une allocation journalière, ou "per diem",
basée sur le nombre d'assistés que comptait l'institution à
chaque jour.
Rapport Barbeau-Houde (1961) : Mémoire sur la classification
des enfants et l'organisation des classes au Mont-Providence. Ce
mémoire présente les résultats de l'enquête
dirigée par le Dr Barbeau et portant sur l'évaluation des
capacités intellectuelles des enfants internés au Mont-Providence.
Rapport Bédard (1962) : Rapport de la Commission d'étude
des hôpitaux psychiatriques. Suite à la parution du livre
Les fous crient au secours par un ancien interné de
Saint-Jean de Dieu, livre qui créa un émoi certain au sein
de la population, cette commission d'enquête fût chargée
d'élucider les allégations de traitements inhumains dans les
hôpitaux psychiatriques.
Soeurs de la Charité : La Congrégation des Soeurs
de la Charité de la Providence était propriétaire,
entre autres, des hôpitaux Saint-Jean de Dieu (actuellement Louis-Hyppolite
La Fontaine) et Mont-Providence (actuellement Rivière-des-Prairies)
avant leur rachat par le gouvernement du Québec au cours des années
1960.
INTRODUCTION
Contexte général
En janvier 1997, le Protecteur du citoyen du Québec déposait un rapport à l'assemblée nationale du Québec faisant état de la situation des "orphelins de Duplessis". Au cours des années 1930 à 1965, des milliers d'orphelins de naissance "illégitimes" et par ailleurs normaux au plan intellectuel ont été internés en instituts psychiatriques suite à des séjours dans des crèches et des orphelinats. Les institutions visées étaient propriété de congrégations religieuses et largement financées par les divers paliers de gouvernement.
Afin de faire pleine lumière sur la situation, les "orphelins de
Duplessis", représentés par le Comité des orphelins
et orphelines institutionnalisé(e)s de Duplessis (COOID), ont exigé
du gouvernement la tenue d'une enquête publique, ce qui jusqu'à
maintenant a été refusé.
Mandat de l'expertise
Le comité des orphelins et orphelines institutionnalisé(e)s
de Duplessis (COOID) nous a confié le mandat suivant:
2) quantifier, lorsque cela est possible, ces éléments et les
exprimer en dollars actuels.
CONTEXTE GÉNÉRAL DE L'ASSISTANCE PUBLIQUE AU QUÉBEC
Avant d'aborder directement la question des orphelins institutionnalisés au cours des années 1940 à 1960, il convient d'analyser de manière plus générale les institutions religieuses de charité au Québec et d'en dégager les implications économiques, sociales et politiques pour bien en comprendre les enjeux.
L'une des remarques fréquemment avancées contre les revendications des orphelins institutionnalisés est à l'effet que l'Église et les congrégations religieuses disposaient de peu de ressources matérielles pour accomplir leurs oeuvres, que leur dévouement à la cause des plus démunis était des plus désintéressés et qu'il n'y a pas lieu, par conséquent, de leur reprocher des actes qui auraient été posés dans de telles conditions.
L'importance de la question et ses conséquences sur l'analyse du dossier
des "orphelins de Duplessis" méritent que l'on s'y attarde.
Une lutte constante entre l'Église et l'État
Il n'a pas fallu attendre la "Révolution tranquille" des années
1960 pour qu'on envisage sérieusement une participation accrue de
l'État dans l'assistance publique, comme en fait foi cette citation
tirée de Laperrière (1996), historien et spécialiste
de l'histoire religieuse:
Ce court passage est fort riche en contenu et témoignent des luttes politiques de l'époque. Nous y apprenons en premier lieu que les médecins et une part importante de l'élite politique du Québec critiquaient déjà, à la fin du siècle dernier, la prédominance de l'Église dans l'administration des asiles. Plus significatif encore, nous y apprenons que l'Église et ses alliés, les ultramontains, s'opposent fermement à un contrôle accru de l'État et des médecins sur les asiles, utilisant des moyens juridiques (opposition des Soeurs de la Providence) et politiques (influence des ultramontains dans le premier gouvernement Mercier) pour y arriver.
Poursuivons notre étude en portant cette fois notre regard sur le
début du XXe siècle. En 1921, le gouvernement libéral
de Taschereau adopte la Loi de l'assistance publique qui accroît
l'engagement financier de l'État dans ce domaine. Voici l'analyse
des débats de cette époque par Vaillancourt (1988, p.205):
Cette résistance du clergé et des élites catholiques à la Loi de 1921 est pour le moins étonnante. Cette loi prévoyait en effet un financement accru des institutions d'assistance par l'État provincial et les municipalités. La participation financière de l'État provincial était garantie par la création d'un "fonds de l'assistance publique" dont les revenus étaient constitués à partir d'une fiscalité spéciale, mais laissait l'essentiel du pouvoir dans les mains des communautés religieuses (Vaillancourt, 1988). Si la principale préoccupation du clergé était le mieux-être des indigents sous sa responsabilité, comment expliquer une telle opposition à un financement accru de l'État qui visait justement à aider les plus démunis?
Afin de garantir l'indépendance les établissements d'assistance publique appartenant à des congrégations religieuses, l'Église insista pour continuer à contribuer au tiers du financement de ces institutions. Elle dût toutefois se retirer graduellement du financement de l'assistance publique en raison de l'augmentation des coûts d'exploitation des institutions.
Cette opposition de l'Église à un rôle accru de l'État se poursuivra après la Deuxième Guerre mondiale, au moment où les failles du réseau privé d'assistance publique apparaissent de plus en plus clairement. Ainsi, le prêtre Albini Girouard, tout en reconnaissant les lacunes du réseau dirigé par les religieux et religieuses, formulait en 1954 le commentaire suivant: "Nous croyons, d'une façon générale, que les services de bien-être doivent relever du domaine privé, l'État se chargeant de suppléer aux insuffisances des organismes privés." (Girouard, 1954, p.74)
Ajoutons finalement que l'Église s'oppose également à un rôle accru de l'État dans le domaine de l'éducation. Ainsi, au début du siècle, "en dépit d'une certaine centralisation de l'État dans le domaine de l'éducation, quant au financement et à la supervision, l'Église réussit à empêcher la création d'un ministère de l'Éducation." (Dickinson et Young, 1995)
Il est clair que l'Église profitait d'une certaine façon des
institutions de charité des congrégations religieuses comme
en fait foi son opposition constante et manifeste au transfert de ces
responsabilités à l'État. Il faut donc exposer ces motifs
afin de mieux comprendre la problématique des orphelins de Duplessis.
On peut supposer en effet que l'Église profitait à différents
niveaux de sa mainmise sur des institutions telles la santé,
l'éducations et l'assistance publique. En premier lieu, cette mainmise
garantissait à l'Église une influence sociale, économique
et politique qui lui permettait de recruter de nouveaux fidèles et
recueillir des dons de charité. De plus, les actifs immobiliers des
congrégations religieuses prenaient de la valeur dans le temps et
pouvaient être revendus à profit. Nous élaborerons ici
sur la revente à profit des actifs immobiliers et sur les revenus
de charité.
Les institutions des congrégations religieuses : déficits ou surplus?
De nombreux intervenants dans le dossier des orphelins de Duplessis ont fait état des déficits des activités des congrégations religieuses pour affirmer que les religieux et religieuses avaient agi de manière désintéressée et au meilleur de leurs maigres moyens financiers. La non-rentabilité des oeuvres des congrégations n'est toutefois pas si claire qu'on le prétend.
En effet, les dépenses d'opération des institutions de
charité incluent les dépenses d'amortissement des immeubles
et les frais de financement pour ces immeubles. D'importants actifs immobiliers
sont donc payés et financés à même les activités
des institutions de charité et peuvent être revendus par la
suite à profit. C'est d'ailleurs ce que reconnaît Saint-Pierre
(1932), auteur d'une importante étude sur les congrégations
religieuses:
Le tableau I présente les surplus et déficits par diocèse
des institutions religieuses pour l'année 1930, tel que compilé
par Saint-Pierre (1932). Nous avons ajouté les dépenses
d'intérêts et les amortissements aux déficits pour obtenir
les résultats sans ces charges.
Surplus (déficits) des institutions religieuses de charité dans la province de Québec
Avant et après intérêts et amortissement (1930)
Surplus (déficits) | ||||
Intérêts et amortissement | ||||
Surplus (déficits) avant intérêts et amortissement | ||||
Surplus (déficits) avant intérêts et amortissement, en dollars de 1999 |
Les diocèses de Montréal et de Québec, de même
que l'ensemble des autres diocèses de la province ont subi un
déficit en 1930 pour les activités des institutions religieuses.
En ajoutant les dépenses d'intérêts et d'amortissement,
on arrive toutefois à un important surplus pour chacun des diocèses.
Le surplus s'établie à 8,4 millions de dollars de 1999 pour
l'ensemble de la province de Québec. Il est donc clair, à partir
de ces données, qu'une partie importante des revenus des institutions
religieuses servait à financer l'acquisition de biens immobiliers
qui pouvaient ensuite être revendues à profit, d'autant plus
que certains établissements incluaient même le remboursement
des emprunts dans les dépenses courantes (Saint-Pierre, 1932, p.12).
Comme le montre le tableau II, dont les chiffres sont tirés de la
même étude, les propriétés des congrégations
religieuses valaient, en 1930, plus de 430 millions de dollars de 1999
(Saint-Pierre, 1932, p.17).
TABLEAU II
19 | ||
Type d'établissement | ||
Asiles | ||
Maternités et crèches | ||
Hôpitaux | ||
Hôpitaux spéciaux (hospices ou orphelinats) | ||
Hospices ou orphelinats | ||
Autres | ||
TOTAL |
L'importance des actifs détenus par les congrégations religieuses
est un fait objectif significatif pour comprendre l'intérêt
économique de l'Église à garder le contrôle sur
ses organismes de charité. Comme nous l'avons déjà
souligné, les revenus provenant de dons de charité expliquent
également l'intérêt pour l'Église d'être
présente dans ces activités; les dons de charité reçus
par l'Église lui permettaient de combler les déficits des
congrégations religieuses et d'entretenir l'ensemble du clergé.
En 1966, les dons de charité au Québec étaient de 42,3 millions de dollars (221,9 millions de dollars de 1999), selon les données compilées par le Centre québécois de philanthropie (1991). On peut supposer que la presque totalité de ce montant échouait à l'Église. Il est important de mentionner que ce montant ne comprend par les dons pour lesquels aucun reçu pour don de charité n'a été émis, ce qui exclue entre autres du montant l'argent perçu lors des quêtes.
L'introduction de l'assurance-hospitalisation à compter de 1961, l'étatisation graduelle des établissements privés au cours des années 1960 et l'universalité des soins de santé avec l'assurance-maladie en 1971 ont contribué à créer un vaste réseau de santé et de services sociaux principalement étatique (Guérard, 1996). Comme le souligne Verret (1993), du Centre québécois de philanthropie,
"le financement d'institutions a tout simplement disparu, l'arrivée
de l'État-Providence en supprimant la nécessité. (...)
La disparition des bénévoles et des quêtes dans les
églises ont fait en sorte qu'il ne se passait plus rien au Québec
sauf dans les institutions anglophones et juives."
Implications pour les religieuses et religieux
De nombreux auteurs, dont Malouin (1996) et Saint-Pierre (1932), ont souligné que le travail des religieux et religieuses était bénévole et souvent réalisé dans des conditions difficiles. Grâce à leur dévouement et à la non-rémunération de leur travail, des services fort appréciables ont été fournis à faible coûts à la société.
Nous ne pouvons que souscrire à ces affirmations. Il faut distinguer
l'Église en tant qu'institution des individus qui la composent. Nos
remarques précédentes s'appliquent, bien entendu, à
l'institution de l'Église et à ses dirigeants. Le dévouement
et l'altruisme de la base n'exclue pas que des décisions puissent
avoir été prises par les dirigeants sur des bases strictement
pécuniaires.
LA PROBLÉMATIQUE DES ORPHELINS DE
DUPLESSIS
Dans cette section, nous exposerons les divers facteurs économiques
qui auraient pu conduire à un internement injustifié d'enfants
illégitimes en institution psychiatrique. Nous terminerons cette
l'étude en présentant le cas de l'institut
médico-pédagogique du Mont-Providence.
Un per diem supérieur pour les hôpitaux psychiatriques
La principale raison qui a pu conduire à un internement injustifié de milliers d'enfants est la différence entre la subvention reçue par les orphelinats et celle reçue par les asiles. Ainsi, l'orphelinat de l'Immaculée de Chicoutimi recevait un per diem de 0,70 $ en 1956 pour les enfants de plus de cinq ans alors que le per diem de Saint-Jean de Dieu était, pour la même année, de 2,25 $ (Bédard, 1962 et Malouin, 1996). À cette époque, le per diem était la principale source de revenus des institutions religieuses; en 1960, 80% des revenus des asiles proviennent du per diem (Malouin, 1996, p.281). Le per diem pouvait varier du simple au double et même plus, selon que l'on plaçait l'enfant en orphelinat ou en institution psychiatrique (Protecteur du citoyen, p.8).
On pourrait toutefois argumenter que le per diem était justifié parce que les coûts d'exploitation étaient plus élevés pour un institut psychiatrique que pour un orphelinat. Par conséquent, les communautés religieuses ne réalisaient pas de gains en transférant des enfants normaux en instituts psychiatriques. Cet argument ne tient toutefois pas la route suite à l'analyse des dépenses d'exploitation des institutions psychiatriques.
Le tableau 3 présente les dépenses de l'hôpital Saint-Jean de Dieu par type de dépense, tel que divulguées dans le rapport Bédard (1962, p.5). Il n'y a pas lieu de croire que les dépenses de nourriture, fournitures (vêtements, meubles, etc.), entretien et réparations soit sensiblement différentes pour un hôpital psychiatrique ou un orphelinat. Ces dépenses représentent environ 24% des dépenses de Saint-Jean de Dieu.
Cela est moins évident pour les salaires, qui comprennent notamment
la rémunération des psychologues, des psychiatres et du personnel
infirmier. Toutefois, nous croyons que la dépense 'salaire' n'était
pas plus élevée en institut psychiatrique qu'en orphelinat
pour trois raisons. Premièrement, comme il s'agissait, d'enfants normaux,
leur présence en institution ne devrait pas accroître le nombre
de professionnels (psychiatres et psychologues). Deuxièmement, le
nombre de professionnels en santé mentale était de toute
façon nettement insuffisant à l'époque, selon le Rapport
Bédard. Ainsi, à Saint-Jean de Dieu, on ne comptait que 17
psychiatres et une psychologue vers 1960 alors qu'il aurait fallu 76 psychiatres
et 23 psychologues selon les normes habituelles de l'époque.
Troisièmement, les enfants en institution psychiatrique ne recevaient
pas d'instruction, contrairement à l'orphelinat, ce qui permettait
une économie de salaires pour les congrégations.
Dépenses de l'hôpital Saint-Jean de Dieu (ca 1960)
par type de dépense en pourcentage des dépenses totales
Salaires | 61.8% |
Médicaments et fournitures médicales | 3.9% |
Nourriture et autres fournitures | 16.5% |
Entretien et réparations | 7.8% |
Divers | 10% |
Le dernier élément, les médicaments et fournitures
médicales, représente environ 4% du budget de Saint-Jean de
Dieu. Comme pour les soins psychiatriques et psychologiques, les enfants
normaux ne devraient pas nécessiter de médication spéciale.
Si des médicaments étaient en réalité
administrés aux enfants normaux, c'était pour pallier le manque
de personnel dans les institutions psychiatriques. Il faut donc voir les
dépenses en médicaments comme une dépense permettant
de réaliser des économies de personnel et non comme une
dépense additionnelle comparativement à un orphelinat.
Finalement, notons que les enfants en institution psychiatrique étaient régulièrement soumis au travail et que ce travail était généralement non rémunéré. Il s'agit d'un élément économique additionnel en faveur de l'internement en institution psychiatrique.
L'avantage financier pour les religieux et religieuses d'interner des enfants
normaux est donc évident; les dépenses y étaient
équivalentes, voire moins élevées (médication
pour suppléer au manque de personnel, pas d'éducation de
dispensée, travail des enfants non rémunéré).
Pourtant, les institutions psychiatriques recevaient un per diem beaucoup
plus élevé que celui des orphelinats. Est-il possible cependant
de croire que des décisions aient ainsi été prises en
fonction d'intérêts financiers et sans égards au
bien-être des enfants? Les propos du prêtre Albini Girouard,
qui a réalisé en 1954 une étude sur l'administration
de huit services sociaux diocésains, sont révélateurs.
Bien qu'ils portent sur les subventions pour adoptions, nous pouvons supposer
que la situation n'était pas très différente pour l'ensemble
des activités des institutions religieuses.
Orphelinats ou pensionnats pour familles pauvres?
Précisons également qu'en raison du contexte social et
économique des années 1940 et 1950, les orphelinats sont à
cette époque généralement débordés. De
nombreuses familles pauvres ou désunies incapables de prendre soin
de leurs enfants les placent en institutions. Dans les faits, les
véritables orphelins (de père et de mère) sont minoritaires
dans les orphelinats; vers 1930, on en compte environ 9%, contre 44% qui
ont encore un parent et 47% qui ont leur deux parents (voir tableau 4).
Nombre d'enfants dans les institutions religieuses (ca 1930)
Véritables orphelins | ||
Orphelins de père ou de mère | ||
De familles pauvres ou désunies | ||
TOTAL |
Les autres données disponibles sur ce sujet corroborent les résultats pour 1930. Il y avait 5% de véritables orphelins en 1943 dans le diocèse de Trois-Rivières et 3% à l'Orphelinat de l'Immaculée de Chicoutimi en 1949 (Malouin, 1996, p.174).
Les 'orphelins' des années 1940 et 1950 sont donc en réalité
en grande majorité des enfants de familles pauvres qui ne peuvent
assumer la charge des enfants. Les orphelinats sont surpeuplés en
raison des enfants qui ont encore au moins un parent. Les familles versaient
généralement des montants aux orphelinats pour la garde de
leur(s) enfant(s). Cela a pu conduire, selon le Protecteur du citoyen, à
"évacuer" des orphelinats les enfants moins "payants", c'est à
dire les illégitimes pour qui on ne recevait pas de sommes d'argent
de parents:
"Des places et des services normalement réservées aux orphelins furent utilisées pour héberger des enfants de parents pauvres, malades ou veufs, incapables de s'occuper de leur enfant mais quand même capables de verser une allocation supérieure à celle de l'État. (...) Les pensions versées par les parents pauvres étaient supérieures aux allocations gouvernementales. À titre d'exemple, cette source de revenus constituait en 1950, 70% des revenus totaux de l'Orphelinat Catholique de Montréal et 12% de ceux de l'Hôpital Sacré-Coeur de Sherbrooke, pour une moyenne nationale de 25,3%." (Protecteur du citoyen, p.9)
Quelle proportion des enfants illégitimes étaient dirigés
vers les asiles? Le tableau suivant, dont les données proviennent
d'une étude sur l'Orphelinat de l'Immaculée de Chicoutimi
citée par Malouin (1996, p.172-173), ont fait dire à cette
dernière que "les orphelinats ne sont pas destinés aux
illégitimes." On constate en effet que les illégitimes
disparaissent des orphelinats en quasi-totalité avant l'âge
de six ans. Il serait étonnant d'attribuer ce fait aux seules adoptions.
Statut des enfants de l'Orphelinat
de l'Immaculée de Chicoutimi, 1952
GARÇONS | |||
moins d'un an | |||
1 à 5 ans | |||
6 ans et plus | |||
FILLES | |||
moins d'un an | |||
1 à 5 ans | |||
6 ans et plus |
Avantages pour le gouvernement du Québec
Le gouvernement du Québec a certainement contribué aux problèmes des enfants illégitimes par ses politiques sociales. En effet, les allocations familiales étaient notoirement plus basses au Québec que dans le reste du Canada, ce qui contribuait largement à l'éclatement des familles pauvres. Le journaliste Gérard Pelletier note en 1950 que les allocations familiales du Québec sont les plus faibles au pays. À titre d'exemple, une famille québécoise de dix enfants touchait une allocation mensuelle de 57$ en 1950, contre 140$ pour une famille ontarienne. La faiblesse des allocations contribuait à l'engorgement des orphelinats et, nous l'avons déjà souligné, au transfert d'enfants illégitimes dans des asiles.
Le gouvernement du Québec avait également comme politique de favoriser largement la construction et l'exploitation d'hôpitaux à l'aide des subventions que le gouvernement fédéral octroie à compter de 1948. De 1948 à 1953, le gouvernement fédéral a déboursé 94 millions de dollars dans la santé, dont 31% ont été alloués au Québec. À titre de comparaison, l'Ontario n'a reçu que 26% de cette somme au cours de la même période (Malouin, 1996, p.319).
Cette propension du gouvernement du Québec à construire des
hôpitaux psychiatriques a certainement favorisé l'internement
d'orphelins normaux. Comme le démontre le tableau 6, les principaux
hôpitaux psychiatriques du Québec ont connu de 1947 à
1960 une baisse de leur clientèle de 9% attribuable à la
construction de nouveaux hôpitaux.
HÔPITAL | clientèle, 1947 | clientèle, 1960 | variation en pourcentage |
Saint-Jean de Dieu | 7 072 | 5 600 | -21% |
Saint-Michel Archange | 4 546 | 5 061 | +11% |
Verdun protestant hospital | 1 734 | 1 534 | -12% |
Sainte-Anne (Baie-St-Paul) | 1 108 | 1 354 | +22% |
Bordeaux | 639 | 200 | -69% |
TOTAL | 15 099 | 13 747 | -9% |
Ce tableau ne rend toutefois compte de la baisse d'occupation des hôpitaux
que de manière très partielle. Saint-Michel Archange, par exemple,
a connu une hausse de sa clientèle d'environ 500 patients. Toutefois,
le Rapport Bédard (1962, p.35) note que "Saint-Michel Archange
a subi un agrandissement considérable en 1953; deux annexes de douze
cents (1200) lits chacun ont été ajoutés." Le
même rapport fait également état de la construction de
quatre ailes additionnelles à Sainte-Anne depuis 1958 (p.113). Il
semble donc que le taux d'occupation des hôpitaux aient diminué
beaucoup plus considérablement que ne le laissent entrevoir les chiffres
absolus.
Or, toujours selon le même rapport, les revenus des hôpitaux
"augmentent en proportion du taux d'occupation des lits et non en raison
des services que requiert le traitement maximum des malades." (p.6)
Les hôpitaux ont donc intérêt à ce que le taux
d'occupation soit le plus élevé possible pour garantir leur
rentabilité. Le rapport Bédard note que la situation aurait
pu être toute autre si le gouvernement avait dépensé
pour améliorer le financement des hôpitaux psychiatriques
plutôt que de favoriser la construction d'hôpitaux:
Le gouvernement du Québec préférait donc construire de nouveaux hôpitaux pour "entreposer" les malades mentaux, profitant de ce fait des importantes subventions du gouvernement fédéral, plutôt que d'investir dans le mieux-être des malades. Le réseau psychiatrique se retrouvait donc face à un sous-financement chronique et à une pression à la baisse continuelle de ses taux d'occupation qu'il fallait compenser par de nouvelles admissions.
Dans au moins un cas, soit celui du Mont-Providence, le gouvernement du
Québec a directement contribué à l'internement d'enfants
normaux en institut psychiatrique pour pouvoir profiter des subventions du
gouvernement fédéral et pour éviter d'engager des coût
supplémentaires pour le financement de l'institution. Nous analyserons
ce cas en détail dans la section qui suit.
Le cas de Mont-Providence
Achevé de construire en 1949, le Mont-Providence ouvre ses porte le 16 juin 1950. Ce qui deviendra plus tard l'hôpital Rivière-des-Prairies est alors une école pour "orphelins" qui proviennent à la fois de crèches et de familles. L'école vise à remédier aux problèmes scolaires des 7 à 9 ans et est administrée par la Congrégation des Soeurs de la Charité de la Providence.
Selon le témoignage des Soeurs de la Charité devant la Commission Bédard (1962), "les classes vont très bien et les succès sont évidents" jusqu'en 1954.
C'est en effet en 1954, plus précisément le 12 août, que le Mont-Providence de Montréal devient par arrêté ministériel un hôpital psychiatrique. Le gouvernement consent à verser un million de dollars par année pendant trois ans à compter de 1955 comme subvention spéciale au Mont-Providence. En échange, le Mont-Providence s'engage à accueillir 1,000 "idiots et séniles", toujours selon l'arrêté ministériel.
Notons immédiatement que ce chiffre de 1,000 futurs patients a de quoi surprendre puisque la capacité de l'établissement est de 821 patients, selon le Rapport Bédard. Comme nous le verrons plus tard, le Mont-Providence connaissait des difficultés financières et le gouvernement du Québec, en obligeant le Mont-Providence à accueillir des patients bien au-delà de sa capacité, voulait sans doute s'assurer qu'il n'aurait plus à verser de subventions spéciales additionnelles.
Les causes du changement de vocation de l'établissement ont été clairement mises en évidence dans le rapport de la Commission Bédard. Durant les années 1952 à 1954, le Mont-Providence avait essuyé des déficits cumulés de près d'un million de dollars. Selon les religieuses, le gouvernement provincial aurait exigé que le Mont-Providence devienne un hôpital psychiatrique pour solutionner les problèmes financiers de l'institution.
Le gouvernement du Québec avait en effet tout avantage à ce que le Mont-Providence devienne un hôpital psychiatrique puisque le gouvernement fédéral n'était plus intéressé à financer l'établissement à raison d'un per diem de 2,38$ (1952). Le gouvernement fédéral considérait en effet que l'établissement avait une vocation éducative, donc de compétence strictement provinciale. De plus, le Mont-Providence avait reçu une subvention de 1,5 millions de dollars du gouvernement fédéral pour sa construction et le fédéral menaçait de récupérer cette somme auprès du gouvernement provincial.
Le gouvernement provincial, s'il avait voulu conserver la mission première du Mont-Providence, aurait dû augmenter le per diem de l'établissement à environ 5,00$ pour compenser le retrait du gouvernement fédéral, ce qui aurait représenté un déboursé additionnel de 27,5 millions de dollars de 1999. Il aurait également dû rembourser la somme de 1,5 millions de dollars (9,8 millions de dollars de 1999) octroyée par le fédéral pour la construction de l'établissement. Le changement de vocation du Mont-Providence a donc permis au gouvernement provincial de sauver 37,3 millions de dollars constants.
À la fin de l'année scolaire 1954, les enfants qui ont une famille sont renvoyés chez leur(s) parent(s). Les orphelins légitimes sont envoyés vers d'autres institutions. Quant aux quelques 370 enfants illégitimes que comptait le Mont-Providence à ce moment, ils sont tous internés dans ce qui devient alors un hôpital psychiatrique.
Les enfants illégitimes du Mont-Providence ont donc été
internés injustement alors que tous les autres enfants ont été
transférés ou renvoyés dans leur famille au moment du
changement de vocation de l'institution. Pour s'en convaincre davantage,
voici le témoignage de Jean Gaudreau, un psychologue ayant participé
à l'évaluation des enfants du Mont-Providence en 1961:
Avec le changement de vocation, le per diem du Mont-Providence s'établie à 2,00$ à compter de 1954. Il sera augmenté par la suite à 2,50$. Le Mont-Providence reçoit aussi un montant spécial prélevé sur le per diem de l'hôpital Saint-Jean de Dieu. Pour chaque 2,75$ que reçoit Saint-Jean de Dieu, 0,06$ reviennent au Mont-Providence. Comme nous l'avons déjà mentionné, le Mont-Providence reçoit également, à compter de 1955 et jusqu'en 1957, une somme de un million de dollars annuellement.
Les quelques 350 enfants normaux qui sont demeurés au Mont-Providence de 1954 à 1961 parce qu'ils étaient "illégitimes" ont rapporté à l'établissement des revenus annuels de source gouvernementale d'environ 300 000 $. Les mêmes enfants placés dans des orphelinats auraient rapporté de la moitié au tiers de ce montant. En dollars de 1999, ce sont donc près de 7 millions de dollars en sommes additionnelles, selon nos estimations, que les religieuses ont obtenu pour ces sept années en décidant de garder ces enfants au Mont-Providence. La subvention annuelle spéciale représente environ 20 millions de dollars actuels. Quant au montant prélevé du per diem de Saint-Jean de Dieu, il totalise environ 4 millions en dollars de 1999.
La conversion du Mont-Providence a été plus que salutaire pour ses finances. Le Rapport Bédard souligne que l'établissement a réalisé un surplus de 191 091 $ en 1961 (1,1 millions de dollars de 1998 - cette somme comprend les dépenses d'amortissement).
La congrégation des Soeurs de la Charité vend le Mont-Providence
au gouvernement le 31 octobre 1969. L'établissement devient alors
l'hôpital Rivière-des-Prairies. Les religieuses ont tiré
de la vente un montant net de 1,3 millions de dollars, ce qui représente
5,8 millions en dollars de 1999. L'aventure financière qui avait
commencé en cauchemar pour les soeurs (coûts de construction
de l'hôpital deux fois plus élevés que prévu et
déficits répétés) s'est donc malgré tout
soldé par un intéressant profit.
CONCLUSION
Les congrégations religieuses ont eu un net avantage financier à transférer des enfants normaux "illégitimes" dans des hôpitaux psychiatriques, notamment pour profiter d'un per diem plus important. En fonction des hypothèses et de la méthodologie présentées à l'annexe 2 de ce rapport, nous pouvons établir que les communautés religieuses ont réussi à obtenir, en dollars constants de 1999, environ 70 millions de dollars en sommes additionnelles pour les années 1940 à 1960. Ce montant constitue selon nous un minimum puisqu'il ne tient pas compte du travail non rémunéré des enfants ni des revenus additionnels que les communautés religieuses ont obtenus en évacuant des orphelinats les "illégitimes" pour faire place à une clientèle plus payante.
Les avantages financiers pour le gouvernement du Québec sont beaucoup plus difficiles à évaluer mais n'en demeurent pas moins réels. La faiblesse des allocations familiales versées aux mères de famille, de même que les montants fort peu élevés versés pour l'exploitation des orphelinats et les hôpitaux psychiatriques, ont grandement contribué aux problèmes des orphelins "illégitimes". De plus, le gouvernement a incité l'internement d'orphelins en instituts psychiatriques en favorisant la construction d'hôpitaux psychiatriques, plutôt que d'investir pour le mieux-être des bénéficiaires, afin de profiter d'importantes subventions du gouvernement fédéral.
Notons finalement que dans le cas de l'hôpital Mont-Providence, le gouvernement du Québec est directement responsable de sa conversion en hôpital psychiatrique à compter de 1954. Ce changement de vocation a conduit à l'internement d'environ 350 enfants normaux. Grâce à cette manoeuvre, le gouvernement a pu économiser 9,8 millions de dollars de 1999 en remboursement de dette au gouvernement fédéral et a également évité de payer des sommes évaluées à 27,5 millions de dollars pour le financement du Mont-Providence de 1954 à 1961, pour un total de 37,3 millions de dollars constants.
Il est donc clair que des enjeux économiques importants ont poussé
les congrégations religieuses et le gouvernement du Québec
à interner en hôpitaux psychiatriques des enfants normaux
"illégitimes" qui étaient sous leur responsabilité.
BIBLIOGRAPHIE
DOCUMENTS DE RÉFÉRENCE
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au dossier des orphelins de Duplessis, P.R.I.S.M.E., vol. 7, no 2,
été 1997.
GUÉRARD, François, Histoire de la santé au
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VERRET, André, Profil philanthropique du Québec - Qui
donne et combien, Le Centre québécois de philanthropie,
1993.
DOCUMENTS OFFICIELS
Acte de vente concernant la vente des actifs de l'hôpital
Mont-Providence à la corporation Hôpital
Rivière-des-Prairies, Ville de Montréal, 31 octobre
1969.
REVUE DE PRESSE
Hypothèses et méthodologie
Le per diem moyen pour l'ensemble des hôpitaux psychiatriques a été estimé, sur la base des informations divulguées dans le Rapport Bédard (1962), à 2,56 $ pour l'année 1961. Nous avons ensuite estimé le per diem moyen pour les années 1945 à 1960 en nous basant sur le per diem de Saint-Jean de Dieu, le seul qui était divulgué pour ces années.
Nous avons ensuite supposé, sur la base des informations partielles dont nous disposons, que le per diem moyen des orphelinats pour chacune de ces années était équivalent à la moitié du per diem des hôpitaux psychiatriques. Selon nous, cette estimation est très conservatrice et le per diem ainsi calculé constitue un maximum.
L'avantage financier pour les communautés religieuses a ensuite été calculé pour chacune des années (le per diem des hôpitaux moins le per diem des orphelinats, multiplié par 365). Pour chacune des années, nous avons indexé le montant en dollars de 1999. Nous avons ensuite calculé une moyenne à partir de ces montants.
Finalement, nous avons multiplié le gain moyen en dollars de 1999 par la durée de séjour moyenne des orphelins institutionnalisés et par leur nombre estimatif. Les hypothèses quand à la durée de séjour moyenne et le nombre d'orphelins nous ont été fournies par le Comité des Orphelines et Orphelins Institutionnalisés de Duplessis (COOID) au meilleur des connaissances de l'organisme et sur la base de ses dossiers. Les informations disponibles nous ont permis de dégager une durée moyenne de séjour en institut psychiatrique de 11 ans et un nombre approximatif de 3,000 orphelins institutionnalisés.
Les données utilisées proviennent de dossiers pour les hôpitaux psychiatriques suivants: Saint-Julien de Saint-Ferdinand, Sainte-Anne de Baie Saint-Paul, Saint-Michel Archange et Saint-Jean-de-Dieu.