-----  Il y a des entités plus abstraites comme le Gouvernement, le corps médical ou l'Église qui ont leur part de responsabilité. C'est le cardinal Léger, par exemple, qui, dans le cas du MontProvidence, a négocié le changement de vocation pour en faire un asile et ainsi déclaré artificiellement des centaines d'enfants arriérés mentaux, cela en échange de trois millions de dollars.  Quant aux médecins, ils ont aveuglément signé de faux diagnostics. Comme on le voit, dans notre dossier, l'imputabilité est une question fort complexe.

Dans les faits, cependant, en considérant que l'imputabilité se résume uniquement à une question de responsabilité légale - je reprends une idée de la Commission - l'Église et l'État se trouvent peut-être à mépriser ou à atténuer l'importance de la responsabilité morale et politique (p. 36.).

Certes, cela ne fait pas de doute, la responsabilité comprend un volet moral et politique tout autant qu'un volet juridique. Lorsque la Commission écrit ce qui suit, cela apparaît plutôt abstrait pour les Orphelins de Duplessis :

  • Les parties qui abordent la question de la réparation sans tenir compte de cette responsabilité plus large pourraient être davantage susceptibles d'être attaquées dans l'arène juridique et moins en mesure de se défendre (pp. 36-37) [... ] La responsabilité ne se mesure pas seulement en dollars. Il y a un prix à payer pour avoir omis ou refusé d'assumer la responsabilité (p. 36). [...]  Ce comportement laisse également aux tribunaux la discrétion d'accorder des dommages-intérêts alourdis lorsque la dénégation de responsabilité est déraisonnable (p. 37).

Si les Orphelins de Duplessis devaient retourner à leurs démarches juridiques, en l'absence même de moyens financiers, ce qui précède serait plutôt théorique. Sans compter que, compte tenu des délais (nous en avons pour des années), nos membres ont le temps de mourir, et leurs revendications avec eux. La Commission écrit qu'en l'absence d'une attribution de responsabilité qui soit officielle et indépendante, c'est aux gouvernements et aux Églises mêmes qu'il incombe d'examiner leurs propres actes et attitudes. Jusqu'ici, dans le cas des Orphelins de Duplessis, la chose se révèle impossible. Cette responsabilité d'examiner leurs propres actes et attitudes, qui va les obliger (les gouvernements et l'Église) à l'assumer? La Commission exprime ici une bonne intention, mais lorsque les responsables, dans la recherche d'un règlement hors-cour, ne s'assoient pas à la même table que les victimes, qui peut les y obliger?

Nous posons aussi le problème de la prescription; nous craignons qu'on l'utilise comme un argument qui servirait à faire disparîcitre la notion de responsabilité morale de l'État. En effet, sans l'acceptation de cette responsabilité morale, ni l'État, ni l'Église, ni le corps médical n'auraient aucune raison de «réparer les pots cassés». Pourtant, dans notre dossier, il ne peut y avoir d'impunité; sinon, il faudra conclure que les règles de droit ont été modifiées ou alors, qu'on ne les applique tout simplement pas. En conséquence, les Orphelins de Duplessis seraient des exclus : ils ne seraient pas considérés comme des citoyens à part entière.

3. Urgence d'agir

La Commission dit se donner pour mission l'évaluation des «différentes méthodes de réparation actuelles et possibles du point de vue de ceux et celles qui ont été victimes de violences dans les établissements pendant leur enfance». Ces questions, ajoute-t-elle, se font encore plus pressantes lorsque les sévices perdurent pendant de longues périodes. Ce qui est précisément le cas concernant ceux et celles qu'on appelle les Orphelins de Duplessis.

Le Protecteur du citoyen lui-même, Me Daniel Jacoby, avait trouvé et trouve toujours «scandaleux» le traitement qui a été fait aux Orphelins de Duplessis. Comme on le verra, plusieurs pistes proposées par la Commission ont été utilisées par le COOID et n'ont pas donné de résultats satisfaisants.

Le Protecteur du citoyen du Québec a lui-même reconnu, devant la Comnmission des institutions, que «I'État n'a pas de problème de ressources quand il utilise les tribunaux». Ni les communautés religieuses d'ailleurs! Entre l'appareil de l'État et le citoyen, le déséquilibre est «absolument incroyable», dit-il. Il n'est pas étonnant qu'il parle de «la gestion par usure» à laquelle nous référions plus haut et à laquelle sont confrontés les Orphelins de Duplessis.

La Commission fait une juste analyse relativement au cynisme des responsables qui maintiennent leur silence : «Le retard à satisfaire leur volonté de réparation, aussi justifié que puisse être ce retard, ne fait qu'ajouter foi à l'opinion de ceux et celles qui pensent cyniquement que les responsables des établissements où les sévices ont été perpétrés attendent tout simplement qu'ils meurent et que leurs revendications s'éteignent avec eux.» (p. 25).

Pendant ce temps, le gouvernement du Québec préfère balayer du revers de la main une institution indépendante qu'est le Protecteur du citoyen qui, dans notre dossier, a proposé une compensation sans égard à la faute. Également, le gouvernement n'a pas donné suite aux conclusions d'un rapport de la Commission des institutions (composée de tous les représentants des partis politiques) que nous résumons ainsi : «il revient à l'État de tenter de faire quelque chose pour réparer les torts subis» par les Orphelins de Duplessis dont ceux, parmi eux, qu'on appelle les orphelins agricoles.

Jamais n'avons-nous reçu de la part du gouvernement un document exposant de façon complète sa position officielle face aux demandes des orphelins. Pourtant, le 19 mars 1998, à l'Assemblée nationale, même s'il y a près d'un an de cela, le Premier ministre a déclaré qu'«il ne serait pas opportun d'imposer un règlement». Les représentants du COOID partagent son point de vue, même si dans les faits, les rencontres bilatérales sont absentes et le délai déraisonnable.

De par sa responsabilité morale, le gouvernement constitue leur ultime espoir d'une solution négociée. Une entente avec lui permettrait de mettre fin à une série de poursuites judiciaires (actuellement en suspens) tant au plan civil qu'au plan criminel. Sinon, les Orphelins de Duplessis devront retourner devant les tribunaux avec, certes, une approche nouvelle et des moyens appropriés, mais aussi avec un incommensurable sentiment d'exclusion et d'injustice. Par son incapacité à régler le problème, devront-ils conclure que ce gouvernement appartient à la société distincte de l'injustice?

Plus largement, par leur comportement, les autorités politiques, religieuses et médicales ont fait en sorte que les oubliés d'hier, devenus des démunis d'aujourd'hui, taisent leurs souffrances. Les Orphelins de Duplessis ont besoin d'être écoutés même s'il y a rage en leur coeur. L'Église canadienne est d'ailleurs consciente des effets néfastes de son silence :


  • Trop souvent, malheureusement, la crainte du scandale continue d'influencer nos réactions instinctives et nousfait protéger l'agresseur et une certaine image de l'Église ou de l'institution que nous représentons, plutôt que les enfants, impuissants à se défendre dans un duel aussi inégal "

Pourtant, les évêques du Québec sont membres de la Conférence des évêques du Canada et en partagent donc les vues. Pourquoi, alors, ces mêmes évêques ne reconnaissent-ils pas au Québec ce qu'ils reconnaissent dans les autres provinces?


  • Les victimes dénonçaient les systèmes administratifs de l'Église en leur reprochant une attitude de camouflage et de dissimulation plus prête à limiter les dégâts infligés à i image de l'Église par de tels scandales, qu'à prendre en considération la violence grave contre l'identité personnelle des victimes17

Dans un communiqué daté du 31 mars dernier, message émanant de l'Assemblée des évêques du Québec, son président, monseigneur Morissette ainsi que l'archevêque de Montréal, le cardinal Turcotte, déclarent ce qui suit :


  • Cette question [des Orphelins de Duplessis] a occupé beaucoup de place dans les médias et on s'est étonné de la participation limitée des instances d'Église. Comme ce problème regarde l'ensemble du Québec, [les deux prélats] consultent présentement toutes les institutions d'Église impliquées afin de proposer des pistes de solutions adéquates pour les personnes qui ont souffert et pour qui l'Église éprouve beaucoup de compassion.

Ouverture réelle ou damage control ? Nous avons demandé, ces dernières semaines, à cinq reprises et par écrit chaque fois, à rencontrer le cardinal Turcotte.  Silence!  Nous nous sommes présentés aux séances de réflexioon du Synode montréalais qu'il dirigeait, là aussi, l'indifférence totale. Qu'en sera-t-il cette fois?

4. Accès normal à la justice

Depuis les débuts de leur lutte, les Orphelins de Duplessis partent d'une prémisse reconnue : personne ne conteste que les citoyens de ce pays sont dans un régime de droit. Ils sont aussi des citoyens à part entière. Or, dans les faits, ils n'ont pas accès à ce régime de droit. Voilà ce qu'ils veulent démontrer aux membres de la Commission. Les Orphelins de Duplessis sont dans l'impossibilité d'aller vérifier leurs droits devant les instances judiciaires. Ne cachons pas les faits: dans leur dossier, il y a déni de justice.
D'une part, les Orphelins de Duplessis ont intenté, par le moyen du recours collectif, des actions civiles en dommages-intérêts. Sur ce plan, ils ont échoué. Du point de vue criminel (violences physiques et sexuelles), ils ont emprunté la voie des enquêtes criminelles. Dans bien des cas, par exemple, même si l'agreseur est toujours vivant, les enquêtes n'ont pas donné lieu au dépôt d'accusations criminelles.

La Commission du droit du Canada propose, par ailleurs, que lorsqu'ils réalisent des entrevues avec des victimes, les policiers devraient se faire accompagner de personnes qui savent comment agir lorsque les réponses à leurs questions sont source de traumatisme. De toute évidence, les enquêtes policières n'ont apporté aucun avantage substantiel aux Orphelins de Duplessis, pire, elles leur ont été préjudiciables.

Nous connaissons, en effet, les efforts que les plaignants ont faits et les difficultés qu'ils ont rencontrées afin d'obtenir leurs dossiers médicaux qui leur ont été majoritairement ou bien refusés ou bien «résumés» par ceux-là mêmes qui les détiennent et qui font l'objet de leurs allégations : les communautés religieuses et le Gouvernement du Québec dont le Ministre de la justice est le représentant. Ce dernier n'est pas sans savoir que, quand ils ne sont pas partiellement ou totalement détruits, les éléments de preuves recherchés par les plaignants sont détenus par ceux-là mêmes qui sont accusés.

Peut-être commence-t-on à comprendre que les conditions de l'interrogatoire n'ont pas permis l'objectivité nécessaire de l'enquêteur, encore moins la sécurité psychologique essentielle au bon et juste déroulement de l'enquête.  On a d'ailleurs refusé aux plaignants d'être accompagnés par une personne autre que le procureur ou un policier. Sans compter que nombre de plaignants analphabètes ont dû signer le texte écrit de leur enquête sans être capables de s'assurer si le contenu correspondait à ce qu'ils avaient dit.  C'est peut-être cela que les procureurs appellent «incapacité de témoigner».  Cette cause, qui a affecté leur apprentissage de la langue, on n'en a pas tenu compte pendant que se déroulait l'audition.

D'autre part, la Commission du droit du Canada rappelle que, dans notre système juridique, une des façons d'engager la responsabilité des auteurs de sévices physiques et sexuels consiste à faire en sorte qu'ils soient poursuivis et déclarés coupables dans le cadre d'un procès criminel. Voyons voir, dans notre dossier, comment ces choses ont été empêchées.

Au plan criminel, c'est en regard des exigences posées par les règles de droit applicables en matière criminelle que l'évaluation de la preuve doit être faite. À cette étape, dans notre dossier, la capacité des procureurs substituts en vue de déterminer si la preuve est suffisante pour autoriser des poursuites criminelles a manifestement fait défaut. Voilà pourquoi nous avons demandé au Ministre de la justice et Procureur général de reconsidérer sa décision de ne pas poursuivre au criminel dans les 321 plaintes qu'il a rejetées en cette matière.

Lorsque, par exemple, un enfant a été sodomisé avec violence par un moniteur, que cet enfant fut envoyé à l'hôpital pour faire soigner son rectum, qu'un médecin a suggéré une opération pour fins de «cautérisation des fissures anales», il doit bien y avoir un dossier médical quelque part pour constituer une preuve indépendante. La réponse est non, nous répond-on.  On préfère laisser croire que ce même enfant blessé qui loge aujourd'hui dans un corps d'adulte est soit dans l'incapacité de témoigner, soit qu'il se contredit, soit que la version des faits est trop générale et ne permet pas de préciser une accusation ou soit qu'il n'y a pas de preuve indépendante comme, par exemple, un dossier médical.

Dans une première lettre que nous avons envoyée au Ministre de la justice, le 26 avril 1995, nous avons tenté d'établir, après consultation avec deux médecins, une relation de cause à effet entre les accusations d'agressions sexuelles du plaignant et son état de santé tel que son dossier médical l'indiquait en date des événements présumés et dont le médecin signataire, nous vous le rappelons, a suggéré une opération pour fins de «cautérisation des fissures anales». Les deux médecins que le Ministère a consultés en arrivent à des conclusions différentes : le dossier médical ne peut constituer une preuve indépendante. Qui a raison et pourquoi? Pourtant, bien qu'elle ait été écartée, la démonstration n'a pas été invalidée par les spécialistes du Ministère. Dans ce dossier, voilà ce que les membres de la Commission doivent comprendre, nous en sommes réduits à une opinion contre une autre opinion, à une expertise contre une autre expertise. Pourquoi, à cette étape-ci, l'expertise du Ministère l'emporterait-elle sur une autre? Sans compter que la convergence des témoignages n'est pas, croyons-nous, le résultat d'une fiction spontanée. Compte tenu que le Gouvernement est intimé au civil dans le dossier des Enfants de Duplessis, devrait-il y avoir une instance neutre?

Parmi les 321 plaintes dont nous parlions plus haut, on y trouve celles de quatre orphelins qui ont également déposé des plaintes au privé. Or, deux jugements sont intervenus relativement à deux d'entre eux, Antoine Ceran et GuyMarc Royal (décédé récemment). Selon le juge B. Falardeau, comme alléguées victimes, il existe une preuve. Il y aura donc, dans leur cas, citation à procès. Si, de part et d'autre, l'interprétation des règles de droit est juste, comment expliquer que la preuve soit, dans un cas insuffisante (Sûreté du Québec), et dans l'autre cas (plainte privée), la preuve soit suffisante?  L'argument est souvent récurrent : la crédibilité des plaignants.

La seule fois où un de nos membres est allé au bout du processus judiciaire, c'est-à-dire lorsqu'il y a eu procès, cette fois-là, il a gagné; cette fois-là, nous avons gagné. Cette victoire, hélas, ne nous a pas donné plus de crédibilité.  Notre dossier stagne toujours.

Le 25 mars 1996, donc, concernant le traitement du volet criminel du dossier des orphelins et orphelines de Duplessis (il y a eu de nouveaux développements), nous avons demandé au Procureur général et Ministre de la justice, Me Paul Bégin, de réouvrir le dossier des 321 plaintes qu'il a toutes rejetées il y a plus d'un an (en février 1995), plaintes relatives à des mauvais traitements ou à des agressions sexuelles.

Il faut savoir que l'examen de notre demande de réouverture a été confié à la Direction générale des affaires criminelles et pénales. Or, c'est cette même Direction qui juge de la recevabilité ou non de la requête qui dénonce, je le rappelle, le comportement de certains enquêteurs et conteste les raisons qui justifient leur rejet. Du point de vue des Orphelins de Duplessis, contrairement à celui du gouvernement, le dossier n'est pas clos.

Le Ministre de la justice est bien placé pour le savoir, c'est en regard des exigences posées par les règles de droit applicables en matière criminelle que l'évaluation de la preuve doit être faite. Qui, du Procureur général, du juge Guberman, du juge Falardeau ou du juge Vaillancourt, interprète mal les règles de droit en matière criminelle? Trois jugements de cours ont indiqué que les allégations étaient fondées en faits et en droit. Si, de part et d'autre, l'interprétation des règles de droit est juste, comment le Ministre de la justice peut-il en arriver à une décision contraire?

À titre de Ministre de la justice et représentant d'un Gouvernement interpolé au civil dans l'affaire des Orphelins de Duplessis, d'une part, et d'autre part, à titre de Procureur général qui doit permettre à ces mêmes Orphelins de Duplessis un accès à une justice équitable, le Ministre de la justice peut-il prétendre exercer ses responsabilités en toute transparence? Si oui, comment? En d'autres mots, serait-il juste de penser que, dans l'exercice de ses fonctions, il y a conflit d'intérêts ou, à tout le moins, apparence de conflit? Pourquoi les procureurs substituts refusent-ils de répondre à cette question?

L'accès à la justice est un droit inaliénable. Ce qui précède tend à identifier une faille majeure du système en place. Cela concerne-t-il la justice administrative? Nous pensons que oui. Le Gouvernement non plus n'échappe pas à la «défense et illustration» de sa justice.

Lorsque Jean-Pierre Arcoragi, dans son texte de discussion du 20 avril dernier, écrit que «le système légal ne répondra pas aux attentes des Enfants de Duplessis», il met le doigt sur un problème majeur et qui empêche les Orphelins de Duplessis d'être considérés comme des citoyens à part entière. Quand s'ajoute l'indifférence combinée du gouvernement du Québec, de l'Église catholique et du Collège des médecins, il est difficile de croire en la justice. Le gouvernement du Québec, avec la complicité de l'Église et du corps médical, a brisé le contrat social qui, comme le préconise avec justesse Arcoragi, est la source même de sa légitimité. Il ne reste, peut-être, que l'instance internationale pour arbitrer avec transparence le conflit qui oppose les vicitmes aux gens du pouvoir en place.

Une dernière remarque. Peut-être est-ce dû à ma propre impatience, mais le mot compassion, dans le texte de discussion, revient souvent comme une attitude nécessaire à toute réparation. Il y a beaucoup de rhétorique dans tout cela. Exprimer de la compassion envers les victimes, si rien de concret ne se fait, est une injustice qui s'ajoute à une autre injustice, et cela est une forme d'abus. De ce point de vue, l'expérience du Québec est douloureuse.

5. Indemnisation financière

Par la création du comité interministériel, nous craignons que le gouvernement ne minimise l'importance de l'indemnisation financière. Nous pensons même que, de sa part, c'est une stratégie de détournement. Voici un exemple. Dans une lettre que madame Louise Harel, alors ministre d'État de l'Emploi et de la Solidarité, adressait à une de nos membres, on peut lire ce qui suit:

  • De plus, vous demandiez où en était l'avancement du dossier des orphelins et orphelines de Duplessis relativement à l'assouplissement de l'admissibilité au programme Soutien financier. À cet effet, je vous rappelle que le Ministère prévoit procéder à l'assouplissement des critères d'admissibilité au programme Soutien financier pour les orphelins et orphelines de Duplessis.
  • La situation particulière de ces personnes constituera un
    facteur socioprofessionnel permettant de les admettre au programme Soutien financier, à condition de démontrer la présence de limitations fonctionnelles permanentes par la présentation d'un rapport médical.

Madame la Ministre n'est pas sans savoir qu'un comité interministériel a été mis sur pied à la demande du Premier ministre Bouchard. Aussi, dans ce cadre, la perspective d'assouplissement des critères d'admissibilité au programme Soutien financier pour les orphelins et orphelines de Duplessis n'a jamais fait l'objet de discussion avec les membres du COOID. Je conclus donc que cette initiative ne s'inscrit pas dans le cadre actuel de nos démarches avec le gouvernement du Québec. Pourtant, les Orphelins de Duplessis sont au centre de la proposition de la Ministre. Pourquoi alors en avoir informé une orpheline et n'avoir jamais discuté de cette possibilité avec les représentants du COOID?

D'autre part, dans nos discussions avec leurs représentants, le Collège des médecins ne nous a jamais parlé d'un rapport médical relativement à des limitations fonctionnelles permanentes de nos membres pouvant déterminer les conditions d'admission au programme de Soutien financier. En d'autres mots, de quelle entente ministérielle (ou conjointe) découle cette perspective d'assouplissement des critères d'admissibilité? Constitue-t-elle une modalité particulière d'une éventuelle compensation financière pour nos membres? Si oui, au minimum, il aurait fallu nous en parler. Nous aurions alors eu l'occasion de dire au gouvernement le doute que nous entretenons relativement à la transparence dans le traitement de ce point particulier de notre dossier touchant à la demande d'indemnisation financière.

En effet, ce qui a été formellement convenu lors de la rencontre du Comité interministériel du 25 novembre 1998, à savoir que les discussions et l'acceptation de services offerts au COOID et à ses membres (suite à leurs demandes) sont faites sans préjudice au droit et recours des orphelins et orphelines quant à leur demande d'indemnisation pour préjudices encourus.
Nous avons là un parfait exemple de ce qui se décide en notre absence et dont voici la suite logique. Dans le formulaire de demande de prestations de sécurité du revenu, on demande au requérant de fournir un certain nombre de documents. De 3 à 16, on identifie les pièces exigées. Au point 16, on retrouve cette exigence :


  • Déclaration de statut d'orphelin de Duplessis émise par le Comité des orphelins et orphelines institutionnalisés de Duplessis (COOID).

Encore une fois, nous n'avons jamais été mis au courant d'une telle exigence liée à une demande de prestations de sécurité du revenu. Le comité interrrùnistériel lui-même ne semblait pas au courant au moment où j'ai appelé la coordonnatrice.

Pourtant, ce que nous demandons depuis le début, la Commission du droit du Canada en confirme la nécessité: une collaboration et une transparence de tous les instants : «Il est donc manifeste qu'une méthode de réparation qui ne fait que peu de place aux victimes ou qui est conçue sans qu'elles soient consultées s'inscrit dans le même cycle de sévices. Elle fait comprendre aux victimes qu'elles ne sont pas importantes, même au sein d'un processus qui est censé s'intéresser à elles ou leur être destiné (p. 38). Voilà où en sont rendus les Orphelins de Duplessis.

Pourquoi - cela sans consulter les victimes - mettre en place un tel programme de «soutien financier» alors que le principe même d'une indemnisation financière n'a jamais été acquis par le gouvernement en faveur de l'ensemble des Orphelins de Duplessis? Nous y voyons là une diversion de plus. En augmentant la prestation mensuelle de certains de nos membres, admissibles aux prestations de sécurité du revenu, le gouvernement se trouve à éliminer tous les autres Orphelins de Duplessis qui ont des revenus autonomes. Comme si ces individus n'avaient jamais subi les préjudices qu'ils dénoncent. Ce qui est plus grave, c'est qu'on ne reconnaît pas à ces derniers le droit à une compensation financière juste et équitable. Deux poids, deux mesures!

Tout compte fait, le gouvernement veut échapper au châtiment dont parle si bien la Commission : «L'indemnisation financière est également une forme de châtiment pour ceux et celles qui sont directement ou indirectement responsables du préjudice. Le droit des victimes à l'indemnisation - c'est ce droit que nous refuse le gouvernement - est évident, aucune défense ou justification supplémentaire n'est nécessaire» (p. 25).

Pour les Orphelins de Duplessis, du point de vue du gouvernement, leur participation à un comité interministériel est une manière incontournable d'en faire de «bons perdants». Pendant ce temps, personne ne parle de l'indemnisation financière. En fait, le message que ce comité envoie est que les choses n'ont pas vraiment changé. Tout se décide encore de façon unilatérale. Il y a de l'imposture dans l'air.

Un programme de réparation devra d'abord établir le principe d'une indemnisation financière juste et équitable. Ainsi que l'écrit encore la Commission : «Un programme d'indemnisation qui, avec cynisme, essaierait de faire participer les victimes mais qui, en fait, n'accorderait aucun poids à leur opinion serait pire qu'un programme de réparation unilatérale. Cela serait susceptible d'anéantir la crédibilité de ceux et celles qui proposent l'indemnisation et de confirmer l'impression qu'ont certaines victimes qu'il ne faut pas faire confiance à l'État et à l'Église. Cela aggraverait également leur sentiment d'impuissance et d'exploitation et pourrait les pousser à intenter des poursuites, à supposer qu'ils n'aient pas renoncé à ce droit» (p. 46).

Pour profiter d'une indemnisation financière, écrit encore la Commission, «la victime n'est pas tenue de faire les frais d'un procès pour en profiter» (p. 26).  De plus - c'est ce qui s'annonce dans notre dossier - «Si les gouvernements ou les institutions déterminaient le montant de l'indemnité financière sans la participatioon et l'approbation des victimes, on trouverait une fois encore à les priver de tout pouvoir et à rendre un jugment unilatéral sur la valeur de leurs souffrances» (p. 26).

6. Accès à la thérapie et à des services de counselling

Au départ, le COOID s'était concentré sur le recours collectif. Aujourd'hui, les démarches judiciaires sont temporairement suspendues, mais sans abandonner la volonté qu'une justice humaine et morale soit mise en application. Le COOID est un organisme qui se veut humanitaire, c'est-à-dire, qui offre différents services d'aide à ses membres dans le besoin. Malheureusement, nos ressources diverses sont fort limitées.

Certes, ainsi que le propose la Commission, nous voulons que la reconnaissance des torts ne se limite pas aux sévices physiques et sexuels, mais s'étende obligatoirement aux violences psychologiques, affectives, spirituelles et culturelles.

D'ailleurs, une étude conjointe de l'Université McGill et de l'Hôpital Général Juif de Montréal réalisée en 1997, a comparé l'état de santé psychologique des membres du COOID avec celui d'un groupe de citoyens à faibles revenus (10 000$ et moins). On a trouvé des différences significatives entre les deux groupes. L'étude a démontré que tous les indices de santé des membres du COOID (par exemple l'indice de stress, celui des maladies chroniques, du suicide ou des problèmes généraux et personnels) étaient dans un pire état que ceux du groupe de comparaison. Ainsi, 54% de ces victimes avaient sérieusement pensé au suicide dans le passé contre 16,9% du groupe de comparaison composé de personnes démunies.
Il apparaît clair que des services de thérapie ou de counselling doivent être proposés à nos membres.

7. Accès à l'éducation et à l'information

Souvenons-nous que les 321 plaintes au criminel ont toutes été rejetées.  Une des raisons évoque : «l'incapacité de témoigner» des Orphelins de Duplessis. Or, on le sait aujourd'hui, il y a une cause réelle à cette dite «incapacité» qui résulte de l'état de sous-développement intellectuel et social dans lequel, il y a plus de quarante ans, les plaignants dont on parle ont été maintenus. Il ne faut pas oublier que les orphelins ont été, dans les années 40 et 50, internés illégalement dans des asiles, développant ainsi ce qu'on appelle une «déficience acquise» doublée, chez plusieurs, d'une absence de langage. Faut-il, aujourd'hui, se surprendre de leur «incapacité de témoigner»? En effet, ce qui constitue la cause première de cette «incapacité» devient aujourd'hui un empêchement à l'obtention d'une justice équitable.

Ces Orphelins de Duplessis ont aujourd'hui, en moyenne, entre 55 et 60 ans. On a compris que l'accès à l'éducation est, pour eux et pour elles, beaucoup moins pressant. Leur réalité impose que cet accès est moins prioritaire que l'obtention d'une indemnisation financière juste et équitable. En d'autres mots, offrir des cours d'alphabétisation peut être utile; encore faut-il que ces cours correspondent à un besoin réel. S'ils avaient aujourd'hui vingt ans, la dynamique serait bien différente. Il importe que les services offerts ne servent pas de voie d'évitement à l'obtention d'une indemnisation qui leur est, de toute façon, due.

8. Châtiment des agresseurs

La Commission affirme que l'âge des agresseurs n'excuse pas leur acte. En
tant que victimes, certains Orphelins de Duplessis croient que le châtiment explicite des agresseurs (conséquence à l'acte) est une partie nécessaire du processus qui leur permettra de surmonter les conséquences des violences qu'ils ont subies. Ainsi que l'écrit la Commission, «Les besoins de ceux et celles qui ont été victimes de sévices doit être la principale considération lorsqu'il s'agit de décider s'il y a lieu de mettre en oeuvre un processus qui entraîne le châtiment des agresseurs» (p. 28).

Prenons la mesure de ce qui précède dans le cas d'un orphelin de Duplessis. Il faut se souvenir que le Procureur général du Québec a refusé les 321 plaintes dont celle d'Antoine Ceran dont les mêmes plaintes ont été admises au privé. Il faut aussi se rappeler que la plainte d'Antoine Ceran a connu son aboutissement le 29 février 1996 en raison d'un plaidoyer de culpabilité de la part de l'accusé. En effet, Georges Burton a reconnu avoir attenté à la pudeur du plaignant, ayant ainsi commis l'acte criminel prévu à l'article 148 du Code criminel. Résultat? Sentence suspendue.

L'âge de monsieur Burton, l'agresseur, a-t-il excusé ses gestes passés? À l'inverse, a-t-on tenu compte de l'âge des enfants au moment de leur agression? Jamais, en matière de réparation, les besoins de la victime n'ont été satisfaits. Quand une injustice s'ajoute à une autre injustice!

9. Engagement envers la prévention

Moins une découverte spontanée qu'une patiente révélation au grand jour, cette lecture inédite de la tragédie collective des Orphelins de Duplessis refait, à sa manière, une partie de l'histoire institutionnelle du Québec. L'effet inévitable de leur lutte est de ne pas faire oublier à la population que le passé n'a pas cessé brusquement, ni pour les responsables, ni pour les victimes.  Une leçon d'histoire nous est donnée par ce drame collectif, encore faut-il vouloir l'entendre.

Ici, le COOID ne peut qu'applaudir à l'effet de prévention qui peut découler de la lutte des Orphelins de Duplessis.


Conclusion

La Commission conclut : «Nous devons prendre l'initiative. Nous devons montrer que, comme société, nous ne craignons pas de faire face à l'héritage qu'ont laissé les violences à l'égard des enfants placés en établissements et également, que nous ne tolérons plus leur perpétuation par complaisance ou par négation» (p. 54). Comme le dit encore la Commission, «il est nécesaire d'adopter de nouvelles approches plus globales».

Dans notre dossier, quelles seront-elles?  Comment cette volonté va-t-elle se traduire? Les Orphelins de Duplessis ont épuisé toutes les démarches, y compris celles qui se trouvent dans le document de discussion de la Commission du droit du Canada. Car en l'absence d'une réelle volonté politique de régler le dossier, toutes les mesures, si excellentes soient-elles, deviennent cyniquement dérisoires. Telle fut l'expérience douloureuse qu'ont vécue les Orphelins de Duplessis.

Malgré tout, une chose est sûre, même si le problème général des Orphelins de Duplessis en est un d'accès normal à la justice, leur volonté de poursuivre leur lutte est indéfectible. Oui, ils lutteront, avec rage s'il le faut, contre l'oubli qui avilit le sens même du mot justice. C'est leur «devoir de mémoire» comme dirait Primo Levi. Que le gouvernement sache que ce devoir, ils l'accompliront jusqu'au bout de leurs forces.

En attendant, nous souhaitons que les membres de la Commission du droit du Canada soient sensibilisés à notre désir d'accéder à une justice équitable. La question que nous leur posons : sont-ils capables de participer à trouver une solution digne et respectueuse d'une vraie justice, en faveur certes de leurs concitoyens, et plus particulièrement à l'endroit des plus démunis?

BR/Ifv
 

16 Rapport ad hoc de la Conférence des évêques catholiques du Canada, De la souffrance à l'espérance, juin 1992, p. 23
17 CECC, Op. cit., p. 23 et p. 28.


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